ENTRETIEN AVEC FABIO GRASSADONIA ANTONIO PIAZZA
Vous avez déjà réalisé deux films sur la Sicile et la mafia (Salvo en 2013 et Sicilian Ghost Story en 2017). Qu’est-ce qui vous avait donné l’envie d’y retourner ? En quoi celui-ci complète et se différencie des précédents ?
Fabio Grassadonia : Nous avions en tête cette trilogie dès le début, ainsi que son ordre. Commencer par Salvo, finir avec Lettres Siciliennes, parce que ce dernier volet est celui qui décrit le mieux la Sicile aujourd’hui. Par rapport aux précédents, le ton est différent. Nous sommes dans une étrange comédie noire, avec une dimension grotesque. Cela donne l’impression d’un choix assumé mais on pourrait ajouter, d’une manière paradoxale, que Lettres siciliennes est le plus réaliste des trois. Parce que, dès que nous avons voulu raconter l’histoire de ce fugitif, de ce mafieux reclus et recherché, et avons fait des recherches, creusé ce sujet, et ce pendant plusieurs années, peu à peu nous est apparu le monde autour de lui. Du coup, ce personnage emblématique est devenu celui qui éclaire notre environnement social, culturel et anthropologique. Il est le symbole d’une fatalité au sein de laquelle nous devons trouver un moyen de survivre. Et ce type de personnages ont une manière qui leur est propre de penser qu’ils sont toujours en vie et que leur vie a un sens. Pour nous, il s’agissait à travers lui de dire ceci : « Regardez, vous pensez vivre dans un paradis, sous le soleil, dans la terre des anciens Dieux mais, de nos jours, vous vivez dans une immense terre dévastée. »
Antonio Piazza : Ce qui nous a donné l’envie et l’énergie pour mener à bien cette trilogie repose au départ sur une chose très simple. Fabio et moi avons été des enfants puis des étudiants ayant grandi à Palerme dans la période la plus tragique de la Sicile. Quant à l’histoire que raconte Lettres Siciliennes, celle du fugitif Matteo Messina Dessina Denaro, elle est la définition même de la cruelle absurdité de ces années. C’est la page la plus sombre de l’histoire de l’Italie car Messina Denaro a été recherché pendant trente ans. Même s’il était très intelligent, différent des autres types de chefs mafieux, une personne activement recherchée ne peut pas l’être aussi longtemps sans bénéficier de protections, notamment de ceux qu’on pourrait appeler les loyaux serviteurs de la nation, en particulier la police et les services secrets. Notre colère venait de là : comment cela a-t-il été possible ? Pour nous, la réponse est évidente, mais c’est seulement la nôtre car il n’y a aucune réponse officielle au fait qu’il n’a pas pu être trouvé pendant tout ce temps. On ne saura jamais la vérité. La principale différence de ce film par rapport aux deux autres se situe là. Au cœur des deux précédents films, il y a une rencontre entre deux êtres humains qui ne change pas le monde mais les transforme, eux, et les pousse à vivre ailleurs que là où ils étaient, dans l’amour (Salvo), y compris après la mort (Sicilian Ghost Story). Par cette rencontre, ils découvrent leur humanité. Un changement, si on veut, du côté du bien, une forme de rédemption. Dans l’actuel paysage dévasté de la Sicile dont parlait Fabio et que décrit Lettres Siciliennes, il n’y a désormais aucune possibilité de rencontre. Encore moins de catharsis.
Sicilian Ghost Story était inspiré d’un fait-divers et Lettres siciliennes part d’une personne qui a réellement existé, Matteo Messina Dessina Denaro, tout en s’appuyant sur ses courriers (« pizzini ») qui donnent au film son titre. Comment le récit s’est-il construit à partir de cette réalité ?
F.G : On peut affirmer que tout ce que vous voyez dans le film à propos de Messina Denaro est inspiré de la réalité. Notamment de sa correspondance de 2004 à 2006 entre ce fugitif et l’ancien maire de son village qui avait été approché par les services secrets pour trouver la trace du chef mafieux car ils savaient qu’ils étaient liés et qu’il pourrait leur permettre de savoir où il se cachait car, à cette période, ils avaient perdu sa trace. S’est établie entre l’ancien maire et le fugitif une correspondance, avec six courriers du fugitif à l’ancien maire et cinq de ce dernier à Messina Denaro. Quelqu’un a trahi le secret, le fugitif a su la vérité et sa dernière lettre envoyée à l’ancien maire, qui était un courriel, a permis de le retrouver, alors qu’il utilisait les « pizzini », dont on voit le fonctionnement dans le film, qui était le courriel de la mafia. Dans cette dernière lettre, il disait ce qu’on retrouve dans le film : « Je ne vais pas te tuer, mais tu n’auras plus jamais de vie.» Nous avons commencé à écrire le film à partir de cette correspondance tout en ajoutant des éléments inspirés de faits réels en lien avec la vie de ce personnage. En particulier sa relation profonde avec son père qui avait choisi Matteo pour lui succéder Matteo alors qu’il n’était pas l’aîné de la famille, ce que montre la scène du couteau et de l’égorgement de l’animal. Il avait perçu en lui quelque chose de spécial. Il avait vu juste car Matteo Messina Dessina Denaro a été un chef mafieux pas comme les autres.
A.P : La parole du père de Matteo est le symptôme d’un patriarcat pathologique empoisonné. D’une certaine manière, Matteo, choisi par le père, est le fruit de sa parole. Dans le film, tous les pères, y compris pour Catello, l’ancien maire qui sort de prison, détruisent leurs enfants, en particulier pour ce dernier son gendre, Pino.
La structure narrative découle de cette correspondance et est articulée autour de deux personnages masculins, Messina Denaro, qui vit reclus, plutôt solitaire, et Catello, à sa sortie de prison, désormais relié au monde. Ils sont entourés de personnages féminins, Lucia, la secrétaire de Matteo, et Stefania, sa soeur. Et pour Catello, outre sa femme, sa fille, la policière, Rita, qui l’approche pour démasquer Matteo.
F.G : Messina Denaro est filmé comme un curieux animal en cage. Et autour de cette étrange danse à deux, entre lui et Catello, toujours proches mais sans jamais vraiment se rencontrer, il y a une autre danse, celle du monde qui les entoure. Les personnages féminins sont très forts ici, très importants et bien différents de ceux des deux films précédents. Que ce soit pour Rita, la policière, et de l’autre côté, avec Lucia et Stefania, les femmes mènent le même combat que les hommes et partagent les mêmes valeurs. Mais elles sont plus intelligentes et cyniques et trouvent le moyen de survivre à ce monde.
A.P : Quant à la solitude de Matteo, c’est la première chose qui a retenu notre attention lorsque nous avons découvert ses lettres, publiées dans un ouvrage (Lettere a Svetonio, Il Capo di Cosa Nostra si racconta, 2008) car le film est vraiment né de leur lecture. Dans cet ouvrage, il y a toutes les lettres que Messina Denaro a écrit à des politiciens, mais sans que soient publiées leurs lettres au chef mafieux, les services secrets s’y opposant. A l’époque, alors qu’on pensait déjà au projet, axé à partir de ces lettres, c’était un pari car il y avait encore un doute sur leur authenticité qui depuis a été levé. Messina Denaro a été arrêté en janvier 2023 et nous avons commencé le tournage peu après, en avril. Ces lettres nous intéressaient par la façon dont elles révélaient sa personnalité particulière, bien différente de l’image du typique chef mafieux sicilien. Une vie simple, parmi des animaux, d’un homme sans grande éducation. Dans ses lettres, il mentionnait l’écrivain Daniel Pennac et se décrivait comme le personnage d’un de ses romans, celui de Benjamin Malaussène dans Le bonheur des ogres, qui incarne la figure du bouc émissaire, inspirée par l’essai de René Girard, Le bouc émissaire. Cela nous a rendu curieux. On a découvert cela après son arrestation, en fouillant sa maison, car il l’a été en raison de sa maladie, un cancer, en se rendant à un hôpital, avant de mourir peu après en prison, en septembre 2023. On a retrouvé chez lui des centaines de livres, Dostoïevski, Flaubert, des poètes italiens, sur lesquels il prenait des notes, ainsi que 212 DVD, dont des films d’Antonioni, de Coppola bien sûr (rires) , Joker de Todd Philipps, dont il avait aussi l’affiche, ainsi que toutes les saisons de Sex and the City. Les femmes étaient l’une de ses obsessions. Sa personnalité singulière, sur fond de solitude et de narcissisme, a été le point du départ du film.
Dans Lettres siciliennes, on n’a pas l’impression de découvrir un chef mafieux maître de la situation, qui contrôle tout, comme une sorte de Docteur Mabuse.
F.G : On a découvert sa personnalité complexe dans l’ensemble de ses lettres, pas seulement celles adressées à Catello, dont on a connaissance dans le film. Il avait compris que le temps avait changé et, comme il le disait, que la qualité n’était plus au rendez-vous. Il était seul car il ne faisait pas confiance aux personnes de son entourage. Il ne se sentait plus en phase avec ce monde autour de lui tout en devant composer avec lui.
Si le film part d’un examen minutieux de la réalité, à partir de faits et de documents, par son ton, sa façon de convoquer différents régimes et registres (onirisme, Hamlet, la Bible et l’Ecclésiaste, la dimension mythologique avec le sacrifice de l’animal, l’Antiquité, avec la statuette donnée à Matteo), il nous emmène ailleurs, audelà du réalisme et en-deçà du genre attendu, celui du thriller. Il y a ce moment étonnant, sous forme de cauchemar éveillé, où Catello, entrant dans un musée, découvre Matteo sous verre, exposé comme une statue antique
F.G : Le village dans lequel cette famille mafieuse était implantée se situait près du site archéologique de Selinunte, l’un des plus grands d’Europe. Le père de Matteo, Francesco Messina Denaro, a a été l’un des premiers à découvrir ce site et est connu pour avoir pillé beaucoup d’objets lors de fouilles
A.G : L’histoire de la statuette de l’ange que le père donne à son fils près du puits, qu’on voit dans le film, est basée sur des faits réels. Cette statuette existe, elle s’appelle « L’éphèbe de Selinunte ». En Sicile, on l’appelle « la marionnette ». Les policiers, au courant de ce vol, sont parvenus à la récupérer, non sans mal (il y a eu des coups de feu avec les hommes de main du père de Matteo) et cette statuette, confiée ensuite à l’État, se trouve désormais au musée de Castelvetrano d’où sont issus Matteo et son père. Dans le film, le don de la statuette du père au fils est un symbole de transmission et de continuité. Pendant l’enterrement de son père, Matteo est au musée, regardant cette statue que son père lui a confiée mais qui n’est plus en sa possession. Cette statue revient sur un mode onirique à la fin, quand Catello entre au musée, dans la même salle que nous avons vue au début. Au départ de la scène, on voit la statue mais lorsque Catello s’en approche, on découvre à sa place Matteo. Ils sont face à face, condamnés à être ce qu’ils sont et Matteo, à la fin de sa vie, était comme cette statuette, qui était d’ailleurs un de ses nombreux surnoms (la marionnette). A l’image de la statuette au musée, Matteo était au centre, objet de tous les regards convergeant vers lui tout en demeurant invisible, comme dans une prison de verre.
Il y a ces antiquités, liées à la Sicile, et en même temps, l’hôtel inachevé construit par Catello, en ruines lui aussi, qu’on voit à plusieurs reprises, est une autre forme d’antiquité dans le paysage de la Sicile.
F.G : Ce sont les ruines de la mafia. Elles sont filmées comme telles. La Sicile est remplie de tels squelettes. C’est un cancer qui dévore le paysage de l’île. Les ruines de cet immense hôtel se trouvent dans la région d’où provient Matteo, à proximité de la mer. Dans la réalité, la construction de cet hôtel est restée inachevée car son propriétaire n’a pas trouvé d’accord avec Matteo Dessina Denaro. Il n’a pas eu la possibilité de le terminer car Matteo avait de solides connexions avec les politiques. Nous avons utilisé ce décor réel d’une autre manière dans le film. Catello, à sa sortie de prison, rêvant d’achever cet hôtel, s’en sert pour reprendre contact avec Matteo, en lui faisant miroiter ce projet auquel il entend l’associer, et en réalité pour aider les services secrets à retrouver Matteo.
En quoi la construction du film, complexe, s’est trouvée modifiée lors du montage, au regard de la construction narrative consignée dans le scénario ?
F.G : Je dirais que la structure du film après montage est exactement la même que celle du scénario. Il y avait juste une seconde histoire en lien avec Matteo que nous avons supprimée, en raison de la longueur du film. Il s’agissait d’une histoire d’amour avec la jeune femme blonde aperçue dans la scène de la discothèque. Cette femme autrichienne a été l’obsession de toute sa vie. Il voulait partir au loin avec elle sans que cela est un symbole de transmission et de continuité. Pendant l’enterrement de son père, Matteo est au musée, regardant cette statue que son père lui a confiée mais qui n’est plus en sa possession. Cette statue revient sur un mode onirique à la fin, quand Catello entre au musée, dans la même salle que nous avons vue au début. Au départ de la scène, on voit la statue mais lorsque Catello s’en approche, on découvre à sa place Matteo. Ils sont face à face, condamnés à être ce qu’ils sont et Matteo, à soit possible, sans être non plus en mesure de la rejoindre par la suite en Autriche.
Peut-on dire que Catello, interprété par Toni Servillo, est également un personnage inspiré de la réalité ?
F.G : Il l’est lui aussi, il vient d’une histoire vraie sauf que, contrairement à Messina Denaro, nous avons changé beaucoup de choses par rapport à la personne qui l’a inspiré. En confiant le rôle à Toni Servillo, on voulait que ce personnage incarne la figure typique du masque propre à la comédie italienne, celle des années 60 représentée par des comédiens comme Alberto Sordi, Vittorio Gassman. Pour nous, Toni Servillo était l’interprète idéal, ayant cette incomparable liberté pour nous offrir ce qu’était ce personnage, à savoir un véritable clown, sans aucune moralité, changeant de visage, offrant toute une série de masques. La personne qui a inspiré Catello était à l’époque le propriétaire du seul cinéma de Castelvetrano.
A.P : En revanche, dans le film, nous avons changé l’environnement familial du personnage qui a inspiré Catello, sa femme, sa fille et son gendre étant le fruit de notre imagination. L’homme qui nous a servi pour Catello est mort en prison pendant la période du Covid, car il avait été de nouveau arrêté pour ses liens avec des policiers corrompus qu’il faisait chanter avec des enregistrements.
Toni Servillo, connu pour ses rôles chez Paolo Sorrentino, en particulier dans La grande bellezza (2013), a également joué sous sa direction, dans Il divo (2008), le rôle d’un homme politique, celui de Giulio Andreotti.
F.G : C’est un registre différent ici puisqu’il interprète en quelque sorte la figure de Pulcinella (Polichinelle) dans cette commedia dell’arte. Dès que le projet s’est concrétisé avec la production, nous nous sommes tout de suite mis d’accord sur Toni Servillo pour ce rôle. Il est le seul en Italie en mesure de jouer Catello, selon la façon dont nous le percevons. Cela dit, pendant le tournage, le masque d’Andreotti est toujours resté dans notre esprit.
L’acteur qui interprète Messina Denaro, Elio Germano, est dans un registre opposé. Plus dans le sous-jeu que le sur-jeu.
F.G : Ils sont totalement opposés à la fois dans leur jeu et leur méthode de travail, car la façon dont Elio Germano a construit son personnage est bien différente de celle de Toni Servillo. C’est la première fois que nous avons dirigé des acteurs de cette envergure. Pour Elio Germano, il ne s’agissait pas de scénario ou de dialogue mais de creuser le personnage et de se glisser entièrement en lui. Il a tout fait pour devenir la personne qu’il interprétait. En revanche, avec Toni Servillo, on a beaucoup travaillé sur le scénario et les dialogues. Avec Elio Germano, pas du tout. Dès qu’il a saisi le personnage, il a travaillé seul de son côté, de manière physique : la façon dont il remue les lèvres, dont il parle le dialecte de la région dont Matteo est issu. Il a souhaité vivre seul dans cette région avant le tournage, pour y rencontrer des gens, leur parler. Toni Servillo et Elio Germano, sur un plateau, ont deux approches différentes. Toni Servillo est une parfaite machine, en mesure de reproduire la même chose plusieurs fois, avec les mêmes gestes, le même jeu, ce qui aide beaucoup les acteurs jouant avec lui. Il vient du théâtre. Avec Elio Germano, c’est le mystère permanent. Quand on dit « moteur », on ne sait pas du tout à l’avance ce qu’il va nous sortir. Chaque prise est une découverte. Tout dépend de son état d’esprit du moment. Il peut changer les dialogues ainsi que ce qui était prévu initialement dans la scène sans en perdre le sens ou la raison profonde. Pour les acteurs jouant avec lui, c’est très perturbant. Nous sommes parvenus à trouver à bon équilibre entre ses besoins en tant qu’acteur et ceux du film.
La photo de Luca Bigazzi, qui a signé celle de Sicilian Ghost Story, montre souvent des intérieurs sombres et fermés, en lien avec le personnage de Matteo, coupé du monde. Il n’y a pas beaucoup de soleil et de ciel bleu dans votre Sicile.
A.P : Luca Bigazzi travaille l’image et la lumière de façon intense et extrême, parce qu’il n’ajoute aucune lumière artificielle. Il travaille à partir de la lumière de la scène. Ce qui est parfait pour le réalisateur car on peut changer le cadre comme on veut sans casser l’installation pour la prise de vue. La lumière est toujours prête car, en cas de changement, elle exige juste quelques brefs et rapides ajustements. Depuis le début, il était clair pour lui et pour nous que le film se devait d’orchestrer une profonde sensation de claustrophobie. La plupart des personnages sont prisonniers de quelque chose. S’il y a bien quelque chose de commun dans cette trilogie de la Sicile et de la mafia, c’est bien cette idée d’enfermement. Le film commence avec la sortie de prison de Catello et à la fin, ce personnage théâtral est comme Matteo car le petit monde qu’il a essayé de construire autour de lui a disparu. Sur le plan de la couleur et des contrastes, il y a une différence au début entre Catello et Matteo et, progressivement, cette opposition tend à disparaître. Au final, ils sont dans le même bain de couleurs et de lumière. Le monde autour de Catello finit par ressembler à celui de Matteo. Il devient son ombre.
Il y a une très belle scène où Matteo termine un puzzle géant représentant la Sicile et auquel il manque juste une pièce. Soit une possible métaphore de la mafia en Sicile, qui la possède ou la contrôle (elle est entre ses mains), mais pas tout à fait.
A.P : Bien sûr, c’est symbolique. Mais comme pour le reste du film, c’est inspiré de faits réels. Messina Denaro avait une passion pour les puzzles. Quant à l’histoire de la pièce manquante, nous ne l’avons pas inventée. Il a effectivement demandé à la femme avec laquelle il vivait à l’époque d’écrire une lettre pour réclamer la pièce manquante ou le même jeu, mais complet. D’ailleurs sa lettre était beaucoup plus longue que celle dictée dans le film. Derrière ce fait, il y a l’idée qu’il ne contrôle pas tout, qu’il est aussi une pièce de ce puzzle. Ce n’est pas le roi contemplant son royaume, ni celui qui tire les ficelles, juste une marionnette parmi d’autres.
Le titre original de Lettres Siciliennes est Iddu. Que signifie ce mot ?
F.G : C’est un mot sicilien qui veut dire « lui » et qui est aussi employé pour se référer à Dieu, « Lui ». En Sicile, iddu est le volcan.
A.P : Parmi les nombreux surnoms pour désigner Messina Denaro dans les lettres qu’on lui adressait, afin qu’il ne soit pas identifié, il y avait celui de « volcan ». Lors de sa sortie en Italie, est-il vrai que le film n’a pas pu être montré en Sicile, dans le village de Matteo Messina Denaro ? Estce que vous allez continuer à explorer le monde de la mafia dans vos futurs projets ? A.P : c’est exact car l’actuel propriétaire du cinéma de Castelvatrano n’est autre que le fils de la personne qui a inspiré le personnage de Catello. Pour d’évidentes raisons, il n’a pas souhaité programmer Lettres Siciliennes. Dès que la télévision italienne s’est emparée de l’affaire et que des journalistes sont venus nous interroger, cela a fait beaucoup de bruit. Au final, les politiques de Castelvetrano et le maire, pour ne pas paraître complices de la décision du directeur du cinéma, ont organisé une projection du film dans une salle qu’ils ont aménagée en louant l’équipement nécessaire. Quant à notre prochain film, cela sera peut-être de nouveau la Sicile, mais sans la mafia.